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les timbres de l'époque anglaise |
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12 Saturday October 2002
24 Septembre 2002 : steamer point.
Installés depuis deux jours à la pointe du port d’Aden, coincés entre les remorqueurs et le phare nous prenons nos marques lentement. Notre vision de la société yéménite s’affine et se diversifie. La réalité du pays se précise car ici les choses et les gens semblent plus abordables. Cela est vrai pour les hommes qui nous accueillent d’un regard bienveillant mais également des femmes dont nous apercevons enfin le visage. Grâce à la situation de céline nous bénéficions d’un accueil royal et nous pouvons d’emblée partager nos impressions avec des locaux. De plus, il existe ici une petite communauté de jeunes expatriés fort sympathiques, certains travaillant pour le département de français ou en relation avec l’ambassade de France, d’autres pour certaines organisations non gouvernementales travaillant à Aden ou dans ses environs. Nos idées reçues et autres images d’Epinal tombent les unes après les autres en leur compagnie. Cela est vrai pour l’alcool qui coule ici à flot mais également des conditions sanitaires qui sont meilleures que prévues. L’eau est potable bien que nous lui préférions celle en bouteille et surtout les moustiques sont rares et apparemment relativement inoffensifs ce qui est un grand soulagement.
En revanche, ce qui frappe le visiteur dès les premiers regards sur la ville c’est l’état de délabrement dont lequel elle se trouve. La moitié des maisons est en attente de travaux, soit que l’argent a manqué à l’entrepreneur au moment de la construction soit que les travaux de restauration des habitations endommagées par plusieurs années de guerres sont trop lourdes pour les faibles revenus de leurs habitants. Parmi celles qui sont en état, on note ça et là des signes de fatigue et de décrépitude que les décorations intérieures tentent de masquer. Cela est vrai des demeures que nous visitons en ce moment : cage d’escalier pourrie, murs de parpaings nus et couleurs ternes pour l’extérieur, salles de bains rouillées, meubles en sursis et moquettes usées à l’intérieur.
Parfois, nous découvrons le goût assez incertain des locaux pour le luxe, s’exprimant en général par des couleurs pastels s’accordant mal, des lustres dorés recouvert de perles en plastique voire par des fontaines intérieures couvertes de marbre. Il est donc difficile de nous faire entendre car les requins qui s’affairent autour de nous dans l’espoir d’une commission croient nous satisfaire en nous proposant des demeures de consuls cossus, en promettant débauche d’équipement ménagers alors que nous cherchons une demeure simple avec vue sur la mer. Nos atouts principaux sont le temps relatif dont nous disposons pour trouver notre logement et surtout le déficit d’expatrié qui a fait sensiblement baissé les prix.
Vient s’ajouter à l’état de décomposition des logements, l’insensibilité apparente des adénites pour la prolifération des ordures. Ici les sacs en plastique rouge ou noir remplacent les fleurs aux branches des arbres secs, sûrement une des conséquences indirectes les plus néfastes de l’usage du qât. Pour chaque botte achetée, un sac en plastique abandonné dans la rue s’amoncelant le long des trottoirs ou dans les terrains vagues reconvertis en décharges improvisées. A cela s’ajoute papiers divers, cannettes métalliques, bouteilles d’eau en plastique et matériaux de construction abandonnés. Le tout crée une atmosphère d’abandon, à laquelle contribue largement certaines façades d’immeubles, datant de l’occupation soviétique, aux balcons desquelles s’entremêlent linge en extension, parabole satellite et objets cassés ainsi que celles datant de l’occupation britannique dont les plafonds travaillés et les boiseries intérieures sont rongées par le temps et la misère. Toutefois, bien que ce paysage doive contribuer à entamer l’enthousiasme des adénites pour le futur, leur joie de vivre et par-dessus tout leur insouciance est visible.
Malheureusement ce détachement s’accompagne souvent d’un matérialisme et d’un égoïsme exacerbé.
29 septembre 2002 : recherche de logement
Pour illustrer la relation qui devrait caractériser la majeure partie de nos relations avec la population locale, le processus qui conduit à la location d’un appartement est assez caractéristique. Oubliez les coups de téléphone répétés pour joindre les agents immobiliers, en vue d’obtenir un rendez-vous, pour visiter un appartement en compagnie de cinquante autres potentiels locataires qui se sont jetés comme vous sur les magasines du lundi matin pour débusquer la bonne affaire. Oubliez les inventaires, les contrats de location débordants d’alinéas, les frais d’agences, constituant le folklore bien de chez nous. Ici, l’étranger paye en dollar et pour plusieurs mois d’avance. En comparaison des yéménites qui règlent leurs factures d’électricité avec quatre mois de retard ou qui siphonnent la ligne de téléphone du voisin, c’est une aubaine que personne ne veut rater car les étrangers se font rare en ces temps de crispation internationale. Du coup, il suffit de prononcer les mots magiques, faisant savoir que l’on est en quête, pour que la moitié de la ville se bouscule pour venir vous chercher n’importe où, n’importe quand et vous faire visiter à peu prés n’importe quoi.
En effet, vous découvrez avec surprise que de nombreux propriétaires préfèrent laisser leurs appartements vides, plutôt que de les louer à des locaux et que n’importe qui connaît quelqu’un qui cherche à louer une résidence en monnaie stable et étrangère. S’imaginant que vous croulez sous les dollars, ils commencent par vous faire visiter des palaces plus kitsch les uns que les autres en vous faisant admirer les lustres en plaqué or et les sommiers avec dossiers décorés. La femme est le centre de toutes les attentions car c’est elle le « chef de la maison » et céline doit se plonger dans les placards et ustensiles ménagers, sans ménager son admiration et sa satisfaction. Après avoir péniblement essayé d’expliquer la différence entre un logement propre et un logement neuf, il est temps d’entamer la phase dite de pré négociation pour les quelques logements dans lesquels vous pouvez vous imaginer vivre. Cette phase complexe dont les subtilités nous échappent complètement, mettent en jeu au minimum trois interlocuteurs : la personne chargée par le propriétaire de la location du logement, l’agent immobilier qui travaille en free-lance et vous, le pot aux roses. Ce que nous avons appris à nos dépends c’est qu’il est dangereux, voir néfaste, d’agrandir ce cercle et que le philanthropisme n’est pas particulièrement répandu dans ce genre d’affaires. Alors que se multipliaient autour de nous les agents immobiliers en quête d’argent vite gagné, nous avons cru que l’aide bénévole qu’un des étudiants de céline nous offrait, pourrait nous aider dans nos négociations en arabe. Ce quatrième larron agissait en fait pour son compte et en raison de son prestige social contrôlait la progression des opérations. Alors que notre choix s’était porté sur un logement en travaux possédant un certain cachet, nous avons été porté à croire que la personne chargée de sa location était devenue trop gourmande et l’offre négociée avec lui n’avait plu cours. Au final, nous avons donc porté notre choix sur un logement plus cher mais mieux équipé et mieux situé. Après de longues négociations et une pression efficace de la part du couple de marchandeurs, nous avons finalement signé un contrat dans la précipitation. Au final, la différence entre les deux appartements porte sur 45 € et le loyer est de 300 € pour un quatre pièces tout équipé. Toutefois, notre déconvenue fut grande, le lendemain matin, lorsque nous avons rencontré la personne en charge de l’appartement sur lequel nous avions porté notre choix initial nous interrogant sur notre absence au rendez-vous de la veille. Après que nous nous soyons excusé en lui expliquant que nous n’avions pas bien compris ce qui s’était passé, il nous a confié que son refus portait sur la commission de 250 € que notre « ami bénévole » tentait de lui arracher dans notre dos. Voilà notre première leçon, sans autres frais que l’amour-propre. Nous espérons que dans six mois, lors de la renégociation du contrat nous aurons progressé en langue arabe et en compréhension des mœurs locales.
15H26 : dimanche 6 octobre 2002
L’heure de la résistance. Depuis la mer souffle l’appel de la bienheureuse sieste. Chaque activité essouffle et provoque un abondant ruissellement de transpiration. De la tenue de notre arrivée, il ne subsiste aujourd’hui que les sous-vêtements : les pantalons ont été avantageusement remplacé par une espèce de pagne et les t-shirts par des chemises amples sous lesquelles des marcels en coton se chargent d’absorber, aussi longtemps qu’ils le peuvent, la moiteur de la journée écoulée, dans les transports en commun ou dans les divers quartiers de la ville.
En effet, nos déplacements sont assez important en raisin de la physionomie de la ville. Pour faire simple, on pourrait reprendre les mots de paul Nizan et décrire la situation de la ville comme un ensemble hétéroclite (encore plus aujourd’hui que de son temps) de bâtiments à moitié terminés adossés aux parois d’un cratère dont un des pans aurait sauté. Du coup, la mer est omniprésente et le port d’Aden s’étend sur prés de soixante-dix kilomètres. Le quartier indien, probablement le plus ancien, s’appelle crater ou seera ou tout simplement Aden car il représente pour les locaux le centre ville. C’est en tout cas son centre marchand. Le souq se contorsionne entre les rues étroites et sinueuses, tandis qu’autour de la place centrale s’agite les mâcheurs de qât en âpres négociations pour leur ration du jour et les vieux tailleurs qui font gémir leur antique outillage soviétique. De ce centre bouillonnant, on peut se rendre d’un côte à khormaksar où se situent les universités et les ambassades étrangères ainsi que quelques supermarchés et de l’autre à Ma’alla. Ce quartier s’articule autour d’une rue principale, à deux fois deux voies, que traversent sans cesse des piétons inconscients que tentent dévier des chauffards abrutis, bordées de chaque côté par des immeubles aux couleurs pastels construits à l’époque soviétique. Ils sont aujourd’hui en piteux état mais grouillent de vie.
Au rez-de-chaussée se trouvent les magasins traditionnels comme les épiceries, les parfumeries ou les restaurants et les plus modernes comme les cafés internet, les photographes ou les vendeurs de climatisation. Des bus collectifs sillonnent sans arrêt cette artère vitale et nous emmènent vers Tawahi, l’ancien quartier des anglais. A son entrée se situe un parc malheureusement fermé dans lequel des arbres flétris tentent se cacher au regard une statue de la reine Victoria. Plus à l’intérieur la vie bouillonne de nouveau et le marché de produits frais est un lieu de rencontre pour les habitants du quartier. Ici l’on trouve de nombreuses personnes âgées qui parlent très bien l’anglais et il est fréquent que nous nous attardions à la terrasse d’un café pour déguster un jus de citron glacé ou un thé au lait et à la cardamome.
On peut également déguster du poulet rôti accompagné de riz parfumé ou du requin frit avec des frites. Pour se rendre à notre nouveau lieu de résidence il faut encore prendre un taxi collectif et longer la plage au pied de laquelle nous habitons. Notre appartement se situe au troisième étage et donne sur la mer. Il se compose de trois chambres et d’un grand salon auxquels viennent s’ajouter une cuisine et une salle de bains. De là on peut aller se baigner aux plages qui bordent notre résidence ou bien pousser un peu plus loin vers des plages plus isolées. Il est également possible de faire tout le tour de la baie d’Aden et de se rendre dans une extension de la ville située à une heure de route. Pour se rendre à cette little Aden on croise des raffineries de pétrole, une usine de désalinisation, un cimetière anglais, un campus universitaire, un marché de qât et quelques villages à demi abandonnés dans lesquels des familles survivent dont ne sais quelle activité. Nous nous sommes déjà rendu de ce côté deux reprises pour profiter des splendeurs de la faune sous-marine et permettre aux filles de se baigner sans être matées par les adénites sevrés de chair féminine.
En longeant simplement la côte avec un masque et un tuba, il est possible d’observer des poissons papillons ou perroquets, des raies tachetées de bleu ou couleur de sable, des barracudas argentés, des murènes se camouflant au milieu des rochers et un nombre incroyable d’autres espèces dont je ne connais malheureusement pas le nom.
A chaque fois nous empruntons les services d’une fine et élancée barque de pêcheur local et l’on se prend à rêver de traversées périlleuses ou de pêches miraculeuses sur ces frêles embarcations sur lesquelles se dressent fiers et droits comme des piquets des enfants de la mer à la peau noire et lézardées comme les montagnes qui de loin observent notre lente navigation.
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