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la joie de vivre au naturel

la danse du djebel


Thot: Egyptian god of justice and divination
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La Tihama
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3 Friday January 2003


Fin du Ramadan : alors que nos pérégrinations nous ont déjà portées à la découverte de Mocha, ancien port d’embarquement du café yéménite, produit dans les montagnes avoisinantes, Kocha, modeste port de pêcheur et de construction de sambouks et Zabid, ancien ville de lumière d’un Islam qui se voulait savant et lieu légendaire d’invention de l’algèbre, nous atteignons au troisième jour de notre voyage Bayt Al Faquih, le plus grand souk du pays - labyrinthe gigantesque où se mêlent couleurs et odeurs offrant aux passants un surprenant tableau kaléidoscopique.

le souq de Bayt al Faqih Nous tournons, virons, laissons nos pas se guider au fur et à mesure des rencontres incongrues: carcasses de bétails pendues que les mouches dévorent dans la nonchalance de tous, peau de bêtes fraîchement abattues, épices flamboyants, étales de fruits et légumes à perte de vue, immenses paniers de sorgho et de mil, innombrables marmites de soupes, de poissons fris et d’autres saveurs orientales, marchands d’encens, poules, canards, moutons, ânes, bœufs, chameaux, vitrines poussiéreuses de bijoux luxuriants, échoppes croulantes de tissus chamarrés, de poteries et vanneries toutes plus rocambolesques les unes que les autres… démente farandole d’un carnaval fantastique.

la forteresse turqueLe regard festif, nous nous perdons dans l'enchevêtrement des ruelles ombragées de canisses. Notre fil d’Ariane, un très jeune bonhomme improvisé guide pour l’occasion, nous conduit hors de ce dédale vers une citadelle turque aujourd’hui abandonnée. Le silence et le calme qui emmitouflent la cour de cette forteresse contrastent avec la profusion confuse du souk qu’elle domine. Nous nous trouvons un coin d’ombre auprès duquel nous écoutons les bâtiments, presque intacts, nous conter leurs histoires et leurs aventures.



Prochaine étape : le Djebel Bura, un pic à 2500 mètres, entre la région de Manakha, et Zabid. Nous prévoyons de faire l’ascension à pieds. Quelque mauvais génie en décide autrement. A moins que ce soit notre chauffeur qui devant l’incongruité de la proposition ne comprend point que nous souhaitons simplement être déposés au pied de la montagne.

Toujours est-il que nous nous retrouvons sur une piste à peine praticable par le 4*4 – pente à 20 degrés et chemin parsemé de rochers- sans la possibilité de pouvoir faire demi-tour. Deux heures d’angoisse durant lesquelles nos mains crispées se cramponnent autant qu’il est possible au siège. Chaque balancement de la voiture vers le vide de la falaise que nous suivons me saisit l’estomac qui se retourne au rythme du charivari et du tintamarre des rocailles que nous écrasons.
Chaque obstacle franchi, chaque virage passé, sont l’espoir d’une accalmie qui se fane aussitôt. Sournoisement, le chemin s’empire et nous oblige à plusieurs arrêts où nous devons enlever les roues de la voiture et pousser laborieusement les rochers qui gênent la route.

une des vues du sommet Nous arrivons enfin. Fatigués, verdâtres, cheveux hirsutes et soulagés de toucher terre. Hommes et enfants du village s’agroupent dans un désordre joyeux. Tous sont là pour ce qui s’apparente à un évènement : l’arrivée d’étrangers. Les femmes, mêmes, ont arrêté toute activité et s’empressent derrière les fénestrous des baraques. Sourire béas et regards fixes – pas de doute, les pierres d’ici n’ont pas du souvent voir de visiteurs. Nous apprendrons plus tard que la dernière visite d’occidentaux remonte à trois années. A peine la porte de la voiture claquée, qu’un homme s’empresse de nous offrir l’hospitalité. Nous dormirons sur le toit de sa maison, au pied d’un gigantesque rocher tenu en équilibre sous le vide de la vallée que nous venons de traverser.

Nous restons quelques instants assis, silencieux et contemplatifs, perdus pour notre plus grand bonheur dans cette immensité oubliée du monde. Les sommets des montagnes entourent notre horizon dessinant dans le ciel la dentelle crochue des pics que quelques râpasses viennent caresser majestueusement. Le soleil se couche et pose son voile doré de Maghreb sur les hameaux environnants que l’on devine au loin. L’air pur des altitudes me tourne à la tête.

la femme du djebelSoudain, je réalise que quatre paires d’yeux nous observent dans l’entrebâillement de la porte qui accède au toit. Une petite sort et vient me voir. Elle me prend la main, me presse de la suivre. J’entre. L’obscurité est totale. Les plafonds font à peine un mètre. Il me faut descendre une dizaine de marches. Chaque pas est l’occasion d’une gamelle. Je pénètre dans une petite pièce à peine éclairée. Sol en terre battue, mur en pierre, absence de fenêtre, coussins poisseux et ratatinés posés le long du mur. Cinq femmes m’accueillent par le traditionnel salut des trois baisers sur la main. La plus âgée me présentent les quatre autres. Tandis qu’elle déblatère un incompréhensible langage, j’admire son sourire permanent, miroir du bonheur simple qui souffle en ces hauteurs. Ses mains et son visage striés par d’innombrables rides portent la rudesse de la vie qui fut la sienne. Elle n’est pourtant pas bien vieille puisque j’apprends le lendemain qu’elle a accouché la semaine dernière. Le nouveau-né est déjà mort. Sixième enfant qu’elle voit partir. Elle rie me montrant du doigt le ciel. Les quatre autres jeunes femmes sont ses filles. Elles s’agglutinent autour de moi, me regardant à la fois avec curiosité, admiration et bienveillance. Deux me tiennent les mains me félicitant de ma peau blanche tandis que la plus jeune, environ cinq ans, assise sur mes genoux me caresse les cheveux. Je commence à étouffer et prétexte l’envie d’un thé pour me débarrasser quelques instants de ces hôtes fort sympathiques mais quelques peu envahissantes.

L’astuce marche et toutes se disputent la préparation et le service de la boisson. Je tente laborieusement de me remémorer quelques questions apprises lors des cours d’arabe. La plupart tombent a plat, comme la marque du fossé infranchissable qui sépare nos deux univers. Elles n’ont jamais entendu parlé de la France qu’elle prennent pour une province du Yémen, s’obstinent à dire que je suis docteur alors que je leur répète que je suis professeur – professeur ou docteur quelle différence cela fait-il - je sais lire et écrire alors qu’elle ignore ce qu’est qu’une école. L’avant-dernière m’apporte un petit coffret soigneusement emballé dans une étoffe mitée. Elle en déballe fièrement quelques bijoux, offrandes de son mari à qui elle s’est unie l’année dernière, un vieillard qui souhaitait une septième épouse. Quel age a-t-elle ? Elle ne le sait pas elle-même mais sa taille et son corps trahissent les prémisses de l’adolescence. Peut-être 10 années, peut-être 11 guère plus. Petit bout de femme aux allures assurée. Je la regarde. Elle est belle, très belle dans son unique robe de souillon. Ses yeux de biche joliment dessinés au khôl resteront auprès moi, inoubliable rencontre de nos deux destins opposés.

Pendant ce temps, pascal est chez le Cheikh.

Le grondement du seul groupe électrogène du village résonne dans la montagne et illumine un groupe de baraques à l’écart. Un signe extérieur de richesse comme un autre. Je pénètre à l’intérieur d’une grande pièce dénudée où sont disposés négligemment des matelas et des coussins pour le confort des hôtes. Au centre de la pièce trône un narghilé imposant et une malle comprenant le kit complet du parfait glandeur. A peine assis dans un coin de la pièce, place de choix pour les invités de marque qu’un petit homme rabougri fait son entrée, la tête enturbannée et l’œil vif. Il me salue cordialement et je déballe mes quatre phrases d’arabe pour me donner un peu de contenance.
Notre chauffeur complète mes explications et ne manque pas de relater notre ascension chaotique qui lui est visiblement restée en travers de la gorge. Chacun dans la salle s’accorde pour maudire l’état de la route et cette introduction fournit à notre compère l’occasion d’utiliser son verbe volubile pour conseiller au cheikh de se lancer dans des travaux de fond permettant au village de sortir de son état de sous-développement. Profitant de la chance que nous lui offrons d’être considérés lui aussi comme un invité de marque, il dispense les nouvelles du dedans et du dehors au grand plaisir des invités dont les entrées et les sorties se succèdent á un rythme régulier.

Des enfants on fait leur apparition et je trompe mon ennui en les distrayant par quelques pitreries provoquant le sourire de quelques simples d’esprit constituant la garde rapprochée de notre hôte d’un soir. Entre des branches de qat et une longue inhalation de tabac parfumé je place quelques mots puis je me tiens prudemment coi lorsque la conversation se déplace sur des sujets de politique internationale. Ahmed, le chauffeur demande soudain au cheikh local s’il connaît Oussama Ben Laden et je serais à peine étonné s’il répondait qu’il se trouve actuellement dans le village. Un homme caché ici ne pourrait pas être découvert et encore moins délogé, même par l’armée la plus expérimenté du monde. Le moindre arrivant est repéré des lieux à la ronde et les recoins de la montagne sont autant de caches imprenables. Deux heures de mastication auront suffi pour me refuser un sommeil que mon corps réclame pourtant à mots à peine voilés.

nos compagnons de routeCurieusement, au matin, le sentiment de fatigue est diffue et nous entamons la montée vers les hauteurs du village avec appétit et des œufs brouillés en guise de petit-déjeuner. Il est quasiment impossible de se balader seul d’autant plus qu’à chaque étape chacun souhaite nous offrir boire et discuter le bout de gras en notre compagnie. Nous acceptons donc une ribambelle de gamins en compagnie et nous partons à l’assaut des marches de pierres qui relient les différents hameaux du village et les pics rocheux qui les dominent et les écrasent. Alors que nos chaussures de marche nous assurent une progression sûre et régulière, nous palissons de honte à la vue de la fille de notre hôte, petit bout de chou haut de 90 cm et habillé d’une robe de princesse et de simples chaussures gravissant sans efforts apparents des marches faisant la moitié de sa taille. Pour augmenter notre trouble, nous avons la stupéfaction de croiser, venant en sens inverse, des petits diablotins courant littéralement sur ces marches grossièrement taillées, chaussés de sandalettes, n’offrant à la montagne q’un regard distrait. Au retour nous croiserons un de ceux-ci, le genou écorché, racontant ses compères comment une rupture du fin cordon de plastique maintenant son pied à sa chaussure s’était brisé, provoquant sa chute. Je n’ose lui proposer de nettoyer sa plaie à l’antiseptique car l’idée lui paraîtrait sûrement aussi incongrue que celle de descendre plus prudemment la prochaine fois. La vue du sommet est bien sûr à couper le souffle et je diverti nos compagnons en actionnant la lentille du zoom de mon appareil photo.

la sceance de qatAu retour nous sommes condamnés à une autre partie de qat alors que nous ne désirons que nous perdre dans la contemplation d’un paysage devenu l’extrême banalité pour nos hôtes. Encore une nuit blanche en perspective moins que les heures de marche l’emportent sur l’agitation provoquée par cette mastication à laquelle je rêve d’échapper. Après trois heures passés à écouter patiemment des hommes parler une langue dont je ne comprends q’un mot sur dix, je parviens leur fausser compagnie et je tire Céline du calvaire qu’elle vit en compagnie des cinq femmes qui s’entassent dans une pièce voisine.

Nous admirons un coucher de soleil voilé mais déjà nos esprits réclament un repos trop longtemps retardé. Mieux vaut ne pas penser à la route du retour et se concentrer plutôt sur l’obscurité qui se répand au dehors aussi bien que dans nos têtes lourdes.

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